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L'expression formelle de la loi par règles et méta-règles

Daniel Poulin
Centre de recherche en droit public
Université de Montréal

Troisième Colloque Sciences du texte juridique
Abbaye de Royaumont, 25 au 27 octobre 1993

Dans un exposé récent nous avons présenté une méthode d'acquisition des connaissances basée sur un modèle interprétatif[1]. Nous abordons maintenant un autre aspect de la construction d'un système expert juridique : la représentation des connaissances. L'élaboration d'un formalisme susceptible d'exprimer l'univers juridique - les concepts, les relations et les normes - est une entreprise d'envergure. Sans tenter de fournir une solution définitive à ce problème, nous allons présenter les éléments qui nous apparaissent les plus propices à la réalisation d'un système expert basé sur un modèle interprétatif. La présente proposition comporte trois aspects. Tout d'abord, nous élaborons un cadre pour l'expression des règles substantives de droit, la jurisprudence et une certaine expertise concernant les concepts juridiques par des règles. Deuxièmement, nous exposons une façon d'exprimer les autres connaissances nécessaires à l'analyse juridique - les heuristiques juridiques générales, les connaissances heuristiques procédurales et adversatives - à l'aide de méta-connaissances. Enfin, nous décrivons les inférences possibles avec ces connaissances et nous fournissons quelques exemples de leur utilisation.

Éléments informatiques de la solution

Un système expert du type décrit lors de la rencontre précédente de Far Hills peut être réalisé à partir de certains formalismes proposé par l'intelligence artificielle. La conception d'un système expert intégrant un modèle interprétatif impose la recherche d'une solution informatique originale. En tout premier lieu, l'approche retenue doit servir les caractéristiques du droit statutaire. Pour y parvenir deux paradigmes informatiques peuvent être combinés : l'approche isomorphique et le recours à des méta-connaissances. En effet, l'approche isomorphique, où les règles formelles du système informatique sont élaborées en correspondance les règles fournies dans le texte législatif, est essentielle à la viabilité du système. Cette approche doit toutefois être complétée par l'ajout de niveaux supplémentaires de connaissances pour exprimer le modèle interprétatif retenu.

L'idée de base de l'approche isomorphique est d'exploiter le <<formalisme>> des textes législatifs pour les traduire, les formaliser en programmes logiques exécutables, [Sergot 86; Bench-Capon 87]. Dans ce cadre, le <<knowledge engineer>> tente de <<coller>> de très près au matériel juridique source en formulant ou paraphrasant le texte législatif sous forme de propositions logiques. Cette méthode n'est pas sans rappeler la méthode d'interprétation littérale. En effet, c'est le sens textuel, c'est la lecture ou l'interprétation de l'homme ordinaire, que l'on se propose d'exprimer sous forme de propositions logiques.

Les travaux de Bench-Capon et Coenen illustrent bien cette approche. Bench-Capon et Coenen adoptent une attitude de respect très strict de la structure du texte législatif, selon eux : <<even an inconveniently structered piece of legislation should have its structure respected>>, [Bench-Capon 92, 75]. Cette attitude se justifie selon eux par les quatre avantages que procurent l'isomorphisme : pour le développement, la méthode permet le découpage; pour la validation, la méthode rend possible la vérification systématique des règles; pour l'entretien, lors d'un changement de la loi, on peut identifier facilement les changements à faire dans la base; lors de l'utilisation, l'usager suit plus facilement le raisonnement du système.

Leurs arguments les plus convaincant sont probablement ceux en rapport avec l'entretien et la vérification des systèmes. En effet, l'application rigoureuse de l'<<isomorphisme>> permettrait de concevoir des systèmes faciles à entretenir et à vérifier à cause de la correspondance étroite entre les dispositions du texte juridique et les règles de la base de connaissances. À ce jour, cet avantage est cependant demeuré théorique, car l'utilisation exclusive de la méthode isomorphique n'a pas encore conduit à des systèmes fonctionnels.

Récemment, Kowalski et Sergot ont discuté les bénéfices que pourraient apporter l'utilisation d'une représentation plus riche des textes juridiques, [Kowalski 90, 212]. Ils observent que si les systèmes dotés d'une base de connaissances correspondant à une interprétation simple du texte peuvent servir d'aide à l'application routinière de la loi dans l'appareil gouvernemental, le soutien aux juristes exige lui des systèmes moins limités. Sur ce point, ils notent : <<Since our programs can only indicate what follows from one precise interpretation of the law, we need to consider whether an expert lawyer would find such an ability useful.>> Cette constatation amène ces auteurs à proposer la production de systèmes capables d'intégrer plus d'une interprétation et dotés de mécanisme de maintien de la consistance (ATMS <<assumption based thruth maintenance systems>>). Selon eux : <<These mechanisms can be implemented by metalevel reasoning, by reasoning about the alternative logical models and how they are related to one another>>, [Kowalski 90, 215]. Routen et Bench-Capon [91] envisagent également de recourir à un méta-niveau de règles pour exprimer des facettes du texte législatif difficilement conciliables avec la programmation logique : les exceptions, les fictions juridiques (<<deeming provision>>) et les <<contrafactuals>>.

Deux défis confrontent donc l'approche isomorphique. Celui de dépasser la simple interprétation littérale du texte et celui d'atteindre cet enrichissement tout en maintenant les avantages de l'approche. En effet, le respect de la structure des textes juridiques dans la base de connaissances qui caractérise l'isomorphisme doit être conservé. C'est un des seuls moyens que l'on connaissent de produire des systèmes pouvant être entretenus. Par ailleurs, comme le suggèrent tant Bench-Capon et Coenen que Kowalski et Sergot, il semble intéressant de recourir à des méta-connaissances pour compléter et enrichir cette approche. La structuration en couche des connaissances nous semble le moyen le plus prometteur pour dépasser les limites actuelles de l'approche isomorphique.

L'idée fondamentale des architectures à plusieurs niveaux est de permettre la distinction entre d'une part, les connaissances objets, celles qui concernent le domaine modélisé et d'autre part, les connaissances qui réfèrent non pas au domaine d'application mais aux connaissances sur ce domaine. Il s'agit donc de fournir à un programme des connaissances sur ses connaissances, des méta-connaissances. L'idée n'est pas vraiment nouvelle. Dès 1983, Lenat et al., notaient que de telles méta-connaissances sont généralement utiles et qu'elles facilitent tant le fonctionnement, la construction que la modification des systèmes experts.

<<If metaknowledge is going to be present (and it always seems to be desirable), the knowledge engineer should deal with it explicitly. [...] As a result, the program will function better and will also be easier to build and to modify.>> [Lenat 83, 222]

À ces avantages, Van Harmelen [89] ajoute : un tel système permet d'utiliser les même connaissances à plusieurs usages; il peut produire des explications de son comportement et finalement la séparation des méta-connaissances des connaissances objet permet à celles-ci d'être purement déclaratives.

<<[O]ne of the main purpose of having a meta-level architecture at all is to allow the object-level to be purely declarative, without having to worry about procedural aspects. Thus, for any given query, the object-level (implicitly) specifies a set of answers. It is the task of the meta-level interpreter to determine which of these possible answers is going to be actually computed, and in which order.>> [Van Harmelen 89, p. 115]

Malgré son intérêt assez évident, les méta-connaissances ont jusqu'à présent été peu utilisées en intelligence artificielle et droit. Quelques utilisations ont toutefois été présentées. Gardner [87] fait une utilisation classique des méta-connaissances dans son système. Elles servent au contrôle, pour éviter des inférences inutiles et pour introduire des connaissances hypothétiques. Dans Prolexs, des méta-connaissances, exprimées dans un réseau de classification, sont utilisées pour fournir les connaissances procédurales au système, [Walker 91]. Hamfelt [92] a conçu un système faisant appel à plusieurs couches de méta-connaissances. Selon lui, une transposition directe de la loi réduit trop la portée des règles juridiques, aussi propose-t-il de formaliser les principes permettant d'interpréter les lois. Dans son système, il représente les règles de droit comme des schémas à partir desquels des méta-règles peuvent dériver des règles juridiques plus concrètes. L'idée est originale et ambitieuse, mais il n'est pas certain que l'on puisse identifier des règles capables de générer les variations juridiquement acceptables d'une règle.

Un système expert multivoque et adversatif en droit statutaire

Sur la base des modèles interprétatifs étudiés précédemment, cette proposition vise la réalisation d'un système plus fidèle au raisonnement juridique et faisant écho tant au pluralisme interprétatif qu'à la nature adversative du droit. Il ne s'agit pas de la spécification complète d'un système, mais d'une description montrant les possibilités offertes par l'enrichissement de l'approche isomorphique par l'utilisation de méta-connaissances et par l'incorporation d'un riche modèle interprétatif.

Les règles substantives de droit

Jusqu'à maintenant, les systèmes experts juridiques en droit d'origine statutaire n'ont retenu qu'une interprétation des dispositions législatives. Cependant les modèles de l'interprétation nous montrent qu'en fait, très souvent, plusieurs interprétations peuvent raisonnablement être soutenues. Il faut donc trouver le moyen d'enrichir la représentation des dispositions juridiques si l'on veut que les systèmes produits correspondent davantage au type d'expertise qu'ont les juristes. Dans ce but, en rupture avec les travaux informatiques antérieurs mais en accord avec les modèles interprétatifs vus, nous proposons la représentation explicite des nombreux sens que peuvent prendre certaines dispositions législatives. Cette richesse ne doit toutefois par compromettre les avantages que peut nous rendre l'approche isomorphique.

En effet, dans les domaines qui nous intéressent, le droit change souvent, [Bratley 91]. Cette <<fugacité>> du domaine ne peut être ignorée. La seule proposition satisfaisante à cet égard jusqu'à maintenant - l'approche isomorphique - ne permet qu'une expression fort limitée du droit. L'approche isomorphique ne permet pas d'introduire dans la base du système les autres connaissances nécessaires à l'utilisation des règles juridiques, telles les connaissances heuristiques des experts et leurs connaissances procédurales. Dans le système proposé, le recours aux méta-règles rend possible l'expression séparée des règles heuristiques et procédurales essentielles à l'utilisation du droit mais sans empêcher que les règles substantives de droit soient toujours exprimées en lien avec le texte législatif. La dissociation des règles substantives de droit des autres connaissances en cause dans le raisonnement juridique laisse entrevoir qu'un tel système sera plus facilement modifié lors des changements du droit. Ainsi la structure du texte législatif est conservée dans la base mais pas au prix d'une représentation simpliste.

Les dispositions législatives peuvent être exprimées par plusieurs règles dans le système proposé. Les dispositions claires, celles non discutées dans la jurisprudence et dans la doctrine, sont exprimées simplement, <<à la Bench-Capon>>; les autres, celles qui se prêtent à plusieurs interprétations, voient ces interprétations variées exprimées par autant de règles dans la base de connaissances. Pour permettre une exploitation maximale de ces différents sens possibles, la provenance interprétative, c'est-à-dire, les moyens interprétatifs mis en oeuvre pour produire un sens particulier, sont associés à chacune des règles exprimant une source de droit. En fait, à chacune des règles est associé un certain nombre d'attributs : son origine interprétative, ses relations avec les autres règles, ses liens aux sources de droit et sa priorité. Cette forme d'expression multivoque combinée aux méta-connaissances interprétatives disponibles dans le système permettra de mieux rendre compte de la texture ouverte des dispositions juridiques.

Une remarque s'impose cependant quant à la cohérence des règles inscrites dans la base de connaissances du système. Un système juridique doit être cohérent. C'est même le fondement des arguments systémiques. Pourtant, la proposition permet l'expression de plusieurs sens pour une même disposition. N'est-ce pas là une source d'incohérence incompatible avec l'idée même de système juridique? Cette contradiction n'est qu'apparente. Car si, d'une part, le système conserve la richesse sémantique du texte en ayant accès aux nombreux sens raisonnablement possibles, il n'en reste pas moins qu'au moment des inférences, par le jeu des méta-règles inscrites dans le système, l'exigence de cohérence reprendra tous ses droits. Chaque opinion produite sera individuellement cohérente. C'est là la garantie, que le système soit conforme aux normes de cohérence de notre tradition juridique.

Les autres connaissances juridiques

La compétence juridique se fonde sur plusieurs types de connaissances, certaines substantives, d'autres interprétatives, d'autres procédurales, d'autres encore de sens communs. La fusion de toutes ces connaissances au sein d'un amalgame de règles conduit à des systèmes d'intérêt limité. Il est préférable de séparer ces diverses connaissances et les modèles étudiés de l'interprétation fournissent une organisation des connaissances qui peut être reproduite informatiquement.

Un des éléments essentiels de la proposition avancée est l'utilisation de plusieurs niveaux de connaissances pour exprimer fidèlement le droit. Le premier niveau qui vient d'être vu permet l'expression des règles substantives de droit. Le second niveau de connaissances quant à lui rend possible l'expression de méta-connaissances juridiques et inférentielles variées. Alors que les règles de premier niveau agissent sur le monde par l'intermédiaire d'une représentation informatique de cette réalité, les méta-règles agissent, non pas sur une représentation du monde, mais sur d'autres règles. Exactement comme les règles interprétatives agissent sur les règles de droit et contribuent indirectement à déterminer le droit. Au plan informatique, ceci entraîne que chez les règles de second niveau, les variables peuvent désigner non seulement les objets régulés par la norme juridique mais aussi les règles exprimant le droit ou une partie d'entre elles.

Les méta-règles font appel au moteur d'inférence de premier niveau avec un sous-ensemble des règles objet. Pour ce faire, elles filtrent les règles de premier niveau à l'aide de leurs attributs. Elles peuvent ainsi privilégier l'utilisation des règles qui correspondent à une approche interprétative particulière. De cette façon, le système est mieux en mesure d'utiliser les règles substantives du droit, car au lieu du moteur d'inférence à fonctionnement prédéterminé il peut mettre en oeuvre des règles d'utilisation reproduisant celles des juristes.

Différent types de méta-règles sont fournies au système, certaines contiennent des heuristiques générales provenant des modèles interprétatifs utilisés; d'autres des heuristiques spécialisées provenant d'experts juristes, d'autre encore des règles de nature adversatives ou des règles inférentielles.

Méta-connaissances générales

Les modèles interprétatifs qui viennent d'être évoqués peuvent être exprimés formellement dans un méta-niveau et être disponibles pour guider les inférences du système expert juridique. Ils peuvent être utilisés de diverses façons, par exemple, pour structurer la recherche et réduire l'espace de fouille. En particulier, ils peuvent servir à guider les inférences dans une base de règles contenant des expressions contradictoires des dispositions juridiques. Les modèles interprétatifs représentés dans les méta-connaissances permettent finalement de guider la production d'arguments et de justifications.

Méta-connaissances procédurales

L'utilisation des règles substantives de droit ne fait pas appel aux seules connaissances interprétatives du juriste. Certaines connaissances méthodologiques, procédurales, liées à des problématiques particulières, doivent être représentées. Ces connaissances permettent de réduire la recherche. Elles aident à organiser l'interaction avec l'utilisateur sans introduire ce type de considération à l'intérieur des règles objets.

Dans le cadre retenu, la structuration des connaissances de premier niveau autour de la législation laisse entier le problème de l'utilisation des connaissances. Les lois, même si elles sont bien écrites, ne sont pas conçues comme des programmes. Leur utilisation par les juristes fait intervenir d'autres connaissances [Waterman 86]. Le juriste sait qu'il doit commencer par établir si tel concept peut permettre de qualifier la situation et qu'ensuite il doit vérifier si telle disposition est vérifiée et ainsi de suite.

Il y a plusieurs avantages à séparer ces connaissances procédurales de la représentation des règles. Parmi les avantages énumérés par [Aiello, p. 246-247], il faut noter la polyvalence de la base de règles. Une base de règles dont l'utilisation est encodée explicitement au niveau des règles objet ne peut avoir qu'un seule usage. Il est éminemment préférable de garder les règles objets générales. Cependant, ces règles <<générales>> peuvent difficilement être mises en oeuvre sans que l'on fournisse au système des règles de savoir-faire. Ici, ce savoir-faire est fourni par le méta-niveau.

Un second bénéfice est lié à l'entretien des systèmes produits. Une base de connaissances libre de d'informations de contrôle, toute tournée vers l'expression des normes applicables et structurée en relation avec le texte législatif est plus facile à modifier lorsque le droit évolue qu'une autre où des considérations d'ordre divers, dont le contrôle des inférences, embrouille le sens des règles.

Il faut noter que malgré la possibilité d'établir un contrôle serré des inférences via les heuristiques spécialisées au méta-niveau il est aussi possible d'initier des inférences beaucoup plus libres. En fait, pour un enjeu juridique n'exigeant pas l'utilisation de règles ambiguës, l'utilisation des règles procédurales du méta-niveau ne change rien au résultat. Cependant, sans les méta-règles, bon nombre de choses inutiles seront inférées et le dialogue avec l'utilisateur sera passablement erratique.

Méta-connaissances adversatives

Comme les connaissances procédurales, les stratégies d'utilisations des règles juridiques propres aux différents points de vue sont fournies au système via les méta-connaissances. Dans une base de connaissances juridiques univoque, de tels points de vue sont inutiles, car quelque soit le point de vue considéré le résultat est le même. Il en va autrement dans notre système où la présence de règles alternatives, d'interprétations variées, permet de produire des inférences différentes à partir des mêmes faits. C'est au niveau <<méta>> que cette possibilité peut être exploitée pour produire des inférences plus favorables à l'une ou l'autre des parties.

Cette possibilité peut être illustrée à l'aide du domaine des prestations étatiques. La dimension généralement adversative du droit est évidente dans un tel domaine. D'une part, les agents de l'État privilégient une saine gestion des fonds publics et limitent le versement de prestations aux seuls bénéficiaires y ayant droits. D'autre part, les organismes voués à la défense des bénéficiaires tentent de maximiser les gains des prestataires. Bien que les deux parties fondent leur argumentation sur le droit existant, il est souvent possible de constater une distance considérable entre les interprétations qu'ils retiennent des dispositions législatives.

Cet exemple est un peu caricatural. En effet, bien souvent, sinon toujours, les juristes même animés du point de vue de leur client, n'arrêtent pas leur analyse à la première bonne nouvelle ou dès qu'ils réussissent à établir le droit de leur client d'une façon ou d'une autre. Tout au contraire, même animés du point de vue de leur client, ils s'intéresseront au point de vue adverse, pour prévoir ce qui leur sera opposé. Les règles inférentielles doivent reproduire une telle stratégie d'utilisation des connaissances.

Méta-connaissances inférentielles

Pour les juristes, l'ambiguïté des règles de droit ne constitue pas un problème, ils sont familiers avec l'utilisation de règles occasionnellement ambiguës. Le système doit être capable d'un fonctionnement similaire. Tout d'abord, il doit pouvoir présenter l'état du droit positif et ne pas répondre à toutes les questions que tout est possible. Dans le domaine juridique évoqué, celui des prestations sociales, il est souvent clair que X est admissible et que Y ne l'est pas. Ce genre d'inférence doit être possible même avec une base comportant des lectures variées. Pour parvenir à fournir ainsi l'état du droit, le système doit être doté de règles lui permettant de hiérarchiser les raisonnements possibles. Il doit savoir comment choisir les règles à haute certitude pour présenter des analyses correspondant au droit positif. Il doit également savoir développer des raisonnements alternatifs dans les cas où aucune conclusion certaine ne peut être démontrée. Il doit enfin être en mesure de produire des argumentations à l'appui d'un point de vue déterminé.

De surcroît, pour une conclusion donnée, le système doit pouvoir montrer comment il serait possible de montrer le résultat inverse. Très souvent, il ne suffit pas de savoir qu'il est possible de construire une argumentation à l'effet que X est un A, encore faut-il être sûr que des argumentations meilleures à l'effet que X n'est pas un A ne sont pas disponibles - et si elles existent, il vaut mieux les connaître. Dans ce but, le système doit être doté de stratégies qui, pour une conclusion et une représentation des inférences qui la supporte, pourra identifier les bifurcations possibles de ce raisonnement et leurs conséquences. De cette façon, pourra-t-on produire des inférences alternatives opposées.

Le système doit enfin être en mesure de justifier ses inférences en modelant ses justifications sur les argumentations types provenant des modèles étudiés. Le modèle de MacCormick et Summers présente de telles structures (p. 490-494). Ce même modèle décrit également des stratégies de résolution des conflits entre règles, lesquelles stratégies pourraient être utiles au développement des justifications (p. 527-528).

L'utilisation de méta-connaissances entraîne donc de nombreux avantages. Ajoutons seulement que la mise en oeuvre d'une telle solution permet de surcroît d'exprimer directement les modèles interprétatifs qui guident le travail du juriste. Cette organisation des connaissances juridiques semble donc dès le départ plus propice à reproduire fidèlement le raisonnement juridique.

Conclusion

Le mode de représentation des connaissances juridiques proposé présente de nombreux aspects innovateurs. Au niveau de la représentation des règles substantives du droit, au niveau-objet de la base de connaissances, notre proposition combine deux caractéristiques rarement conciliées dans les systèmes experts juridiques antérieurs. D'une part, la base de connaissances conserve la structure de la loi, à la façon des systèmes conçus à l'aide de la méthode isomorphique. D'autre part, la représentation des dispositions juridiques est plus riche, car la base de connaissances n'est pas limitée à une des interprétations de la loi mais contient toutes celles qui sont raisonnables.

Nous proposons de superposer à ce niveau-objet un second niveau de connaissances ou méta-connaissances pour exprimer un certain nombre de connaissances juridiques trop souvent oubliées ou inscrites que sommairement et implicitement dans les systèmes antérieurs. Cet aspect de nos propositions comporte aussi des aspects inédits.

Premièrement, notre approche s'appuie sur un modèle interprétatif qui permet de reproduire fidèlement le raisonnement juridique. Deuxièmement, le recours aux méta-connaissances rend possible - et il s'agit là d'un avantage significatif - la coexistence et l'utilisation, au niveau-objet du système, d'un mode de représentation multivoque des connaissances. Troisièmement, l'utilisation de méta-connaissances procure une façon élégante de fournir les connaissances procédurales des experts au système. Les connaissances-objet se trouvent ainsi libérées des contraintes liées à leur utilisation lors des inférences et plusieurs usages de ces connaissances peuvent être prévus. De plus, l'expression séparée des éléments procéduraux permet d'exprimer les règles plus simplement. L'expression séparée et claire des connaissances procédurales contribue par ailleurs à augmenter la transparence du système, car l'usager peut examiner ces connaissances procédurales.

En outre, l'utilisation d'un niveau de méta-connaissances rend possible l'introduction dans le système proposé des divers points de vue qu'adoptent les juristes. De telles connaissances, liées à la représentation multivoque proposée, permettent de concevoir un système doté de capacités adversatives. Enfin, les autres types de connaissances proposées, les connaissances inférentielles et introspectives permettent respectivement de concevoir un système doté de plusieurs types de fonctionnement et de renseigner l'utilisateur sur la compétence du système.

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[1] Une méthode utilisant le modèle de MacCORMICK et SUMMERS a été proposée : Daniel POULIN <<Interpréter la loi pour en acquérir les règles>>, dans Claude THOMASSET et Danielle BOURCIER (dir.), Les Sciences du texte juridique: le droit saisi par l'ordinateur, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1993. À paraître. Retour.